lundi 18 février 2013

ÉTHIQUE DES MÉDIAS, cas tiré du journal Le Devoir


Introduction

Lorsque nous entendons parler d'éthique, nous comprenons généralement qu'il s'agit de valeurs, de recherche de sens. En fait, je suis porté à croire que chaque personne, peu importe son origine sur la planète, ressent des aspirations de «vie bonne» et de recherche du «Bien». C'est l'interprétation de la «vie bonne» et de la recherche du «Bien» qui diffère selon les personnes. La culture de chaque société , tissée avec les expériences particulières personnelles, se traduit par ce qu'on appelle la subjectivité. C'est la raison pour laquelle, dans le but de dépasser les subjectivités, le discours de l'éthique appliquée, que j'utilise, recherche une prise de décision qui créera une ouverture au partage de sens pour toutes les personnes qui seront touchées par l'action décidée.

Contexte de la situation

Je suis abonné au journal "Le Devoir". En regardant l'édition électronique du 16 février 2013, je vois dans la colonne de droite "En vedette, Jacques Parizeau en entrevue au Devoir"

Comme le sujet m'intéresse, je clique sur le lien et je retrouve:

Jacques Parizeau en entrevue au Devoir
15 février 2013 23h25 | Alexandre Shields | Éducation

Avec, sous la photo de Jacques Parizeau, le texte suivant:

"L’entrevue accordée au Devoir par l’ex premier ministre Jacques Parizeau et publiée le 12 février a suscité un vif intérêt. Pour nourrir la réflexion, nous livrons ici le compte-rendu complet de cet entretien portant sur l’enseignement supérieur."

En lisant ce compte rendu complet de l'entretien, je remarque un ajout important de ce qui avait déjà été publié le 12 février dernier:

À la question du journaliste:

"Existe-t-il certaines conditions, en matière de fonctionnement des universités, à considérer si l'on choisit la gratuité scolaire ?"

Jacques Parizeau répond:

"Si l'on allait vers la gratuité, c’est-à-dire en contradiction avec ce qui se fait sur le continent, mais aussi dans plusieurs pays d’Europe, ça implique une redéfinition des universités. Il faudrait des examens d’entrée. Il faut éviter ce que la gratuité entraîne.

Quand je me suis inscrit à la faculté de droit, à Paris, dans les années 50, j’ai payé 8 $. J’étais au doctorat, donc il y avait un peu moins de monde. En première année de licence, il y avait 4000 inscrits. La plus grande salle de la faculté de droit avait 200 places. Il y avait beaucoup de gens qui s’inscrivaient pour prendre une chance. Il y avait un abattage terrible dès la première année. À la fin, il restait 400 inscrits.

Aux HEC, quand j’étais professeur, on a ouvert les vannes. En première de bac, on avait 900 étudiants. Aux examens de décembre, il y avait un abattage terrible. Il en partait 300. Il y avait une foule de professeurs qui enseignaient à des coulés virtuels. Donc, s’il y a la gratuité, il y a un resserrement à faire. Il faut changer un peu la structure. L’Université de Montréal, en ouvrant toutes grandes ses portes, est rendue à 76 000 étudiants. C’est trois fois Harvard. Si on va vers la gratuité, il faudra repenser nos modèles d’université. Il faudrait notamment consolider les études longues, qui vont du baccalauréat au doctorat."

La réponse de Jacques Parizeau implique alors un contingentement des places disponibles dans les différentes facultés ce qui enlève, alors, un poids énorme sur les incidences financières.

Avoir eu connaissance, de cette question et réponse dans l'article du 12 février, aurait passablement changé mon opinion dans ma façon de percevoir une avenue de la gratuité scolaire et aurait changé ma perception, que m'a donnée cet article, de Jacques Parizeau lui-même. D'ailleurs, d'autres personnes ont peut-être eu le même genre de mauvaise perception; dans deux titres du journal, la même journée, nous retrouvons:

"Le pavé
12 février 2013 | Michel David | Québec", http://www.ledevoir.com/politique/quebec/370697/le-pave

"Gratuité scolaire: les ministres péquistes banalisent la sortie de Parizeau

Je ne suis pas certain que, si l'article avait été complet dès le départ,  on aurait titré un "Pavé" et pas certain, non plus, que les ministres péquistes auraient eu à banaliser la sortie de Jacques Parizeau.

Probablement devant la crédibilité et le sérieux de la réputation du journal Le Devoir, cet article du 12 février a été repris par beaucoup de médias sans que l'on ait vérifié si l'article était complet:






D'ailleurs, le 16 février, à la suite de la parution du texte complet, paraissait au journal Le Devoir, un article de Robert Dutrisac ajoute, justement, un bémol à cette gratuité scolaire qui ira jusqu'à faire grimacer Françoise David:

"De son côté, Jacques Parizeau a réussi, dans une entrevue accordée au Devoir, à donner de la crédibilité à l’idée de la gratuité. Les étudiants qui se battent pour la gratuité « ne sont pas hors-norme, ils ne sont pas hors d’ordre ». Mais l’ancien premier ministre a ajouté que la gratuité impliquerait « une redéfinition des universités » et l’imposition d’examens d’entrée. Au Journal de Québec, la présidente du réseau de l’Université du Québec, Sylvie Beauchamp, abonde dans le même sens. Dans un pays comme la Finlande, où l’université est gratuite, 90 000 candidats passent des examens d’entrée et le tiers seulement est admis. Sans compter que dans les grandes écoles françaises, par exemple, les étudiants issus des classes riches se paient une année de préparation et sont ainsi favorisés.

À la perspective d’un contingentement accru, Françoise David, tenante de la gratuité, grimace. Elle s’oppose aux examens d’admission et à un contingentement plus sévère qu’à l’heure actuelle." http://m.ledevoir.com/politique/quebec/371131/le-sommet-de-la-feuq

Questionnement en rapport à l'éthique appliquée à ce cas

Mon questionnement et mon malaise se situent là; avec l'impression de voir, alors, une manipulation de l'information en ayant retenu une partie déterminante de ce qu'avait dit Jacques Parizeau.

Ce qui a été publié la journée du 12 février était vrai, mais d'avoir décidé de retirer la réponse de cette question ("Existe-t-il certaines conditions, en matière de fonctionnement des universités, à considérer si l'on choisit la gratuité scolaire ?"), pénalisait la possibilité, pour le lecteur de se faire une opinion juste de la pensée de Jacques Parizeau.

Pour faire suite à l'introduction, je reprends la définition de l'éthique appliquée que j'utilise:

En rapport à une situation donnant lieu à un malaise, le travail que je consens à faire avec d'autres dans le monde, par le dialogue, afin de discerner et décider les actions en créant une ouverture au partage de sens pour toutes les personnes impliquées par ces actions.

J'essaie de vérifier si l'action décidée créait une ouverture au partage de sens pour toutes les personnes en cause. Alors je pose les questions suivantes:

Est-ce que, d'avoir décidé d'omettre la question "Existe-t-il certaines conditions, en matière de fonctionnement des universités, à considérer si on choisit la gratuité scolaire ?" dans l'article initial du 12 février, permettait un partage de sens pour les lecteurs, pour les ministres, pour Jacques Parizeau, pour l'ASSÉ, en fait, particulièrement, pour toutes les personnes qui ont pris position suite à l'article incomplet du 12 février?

Est-ce que les médias, qui ont repris cette nouvelle, auraient dû vérifier si l'article était complet avant de publier leurs opinions?


J'aimerais bien connaître votre opinion à ce sujet.