lundi 14 décembre 2020

Cas du ministre de l’économie du Québec Pierre Fitzgibbon, éthique ?

 Pour aider à la discussion, j’aimerais, d’abord, préciser la signification de « code d’éthique », traduction de « code of ethics » qui, en français, devrait se traduire par « déontologie». Conséquemment, le code d’éthique représente les règles de conduite souhaitées que se donne un groupe de personnes . Ces règles veulent protéger des valeurs importantes pour le groupe.

L’éthique, elle, représente le discernement d’un groupe de personnes cherchant à décider une action qui ouvrira à un partage de sens.

 

Les partis de l’opposition demande à ce que la règle soit appliquée. Le premier ministre refuse. Conclusions : il y a un malaise. C’est là où l’éthique peut entrer en action afin de rechercher une action qui donnera du sens pour les personnes concernées. (Comprenant, dans ce cas-ci, les électeurs par besoin de transparence)

 

Dans le cas du ministre Pierre Fitzgibbon, il s’agit de deux compagnies qu’il voudrait vendre et dont personne ne veut. De plus, il est présenté qu’elles n’obtiendront aucun avantage du gouvernement. La question à se poser : est-ce que forcer à fermer deux sociétés, que personne ne veut acquérir, donne du sens. Doit-on faire appliquer la règle coûte que coûte ?

 

Par exemple, une règle existe qui dit qu’il ne faut pas courir autour d’une piscine. La valeur à protéger me semble être pour protéger la santé des baigneurs; effectivement, il est dangereux de courir car le sol est mouillé et glissant. 

 

Alors, un jour, un baigneur croit voir quelqu’un en train de se noyer. Il court pour finalement se rendre compte que tout va bien. Doit-on lui donner une sanction pour appliquer la règle coûte que coûte ? Est-ce que cela ferait du sens pour la population en général ?

 

jeudi 16 mai 2013

TRANSFERT DES CONNAISSANCES : UN DÉFI ORGANISATIONNEL

Pour ceux qui s'intéressent aux transferts des connaissances dans une étape de changement organisationnelle seront fortement intéressés à cette thèse de doctorat en administration de Julie Béliveau à l'université de Sherbrooke : « Le rôle des cadres intermédiaires dans le transfert d’une approche humaniste de gestion, de soins et de services : une étude multi-cas au Centre de réadaptation Estrie ».

Elle fournit des pistes de conditions de possibilité au succès d'un tel projet tout en rejoignant la vision d'éthique organisationnelle que promeut ce blogue.


http://www.usherbrooke.ca/ceot/fileadmin/sites/ceot/documents/Publications/Memoires_et_theses/these_juliebeliveau.pdf

lundi 18 février 2013

ÉTHIQUE DES MÉDIAS, cas tiré du journal Le Devoir


Introduction

Lorsque nous entendons parler d'éthique, nous comprenons généralement qu'il s'agit de valeurs, de recherche de sens. En fait, je suis porté à croire que chaque personne, peu importe son origine sur la planète, ressent des aspirations de «vie bonne» et de recherche du «Bien». C'est l'interprétation de la «vie bonne» et de la recherche du «Bien» qui diffère selon les personnes. La culture de chaque société , tissée avec les expériences particulières personnelles, se traduit par ce qu'on appelle la subjectivité. C'est la raison pour laquelle, dans le but de dépasser les subjectivités, le discours de l'éthique appliquée, que j'utilise, recherche une prise de décision qui créera une ouverture au partage de sens pour toutes les personnes qui seront touchées par l'action décidée.

Contexte de la situation

Je suis abonné au journal "Le Devoir". En regardant l'édition électronique du 16 février 2013, je vois dans la colonne de droite "En vedette, Jacques Parizeau en entrevue au Devoir"

Comme le sujet m'intéresse, je clique sur le lien et je retrouve:

Jacques Parizeau en entrevue au Devoir
15 février 2013 23h25 | Alexandre Shields | Éducation

Avec, sous la photo de Jacques Parizeau, le texte suivant:

"L’entrevue accordée au Devoir par l’ex premier ministre Jacques Parizeau et publiée le 12 février a suscité un vif intérêt. Pour nourrir la réflexion, nous livrons ici le compte-rendu complet de cet entretien portant sur l’enseignement supérieur."

En lisant ce compte rendu complet de l'entretien, je remarque un ajout important de ce qui avait déjà été publié le 12 février dernier:

À la question du journaliste:

"Existe-t-il certaines conditions, en matière de fonctionnement des universités, à considérer si l'on choisit la gratuité scolaire ?"

Jacques Parizeau répond:

"Si l'on allait vers la gratuité, c’est-à-dire en contradiction avec ce qui se fait sur le continent, mais aussi dans plusieurs pays d’Europe, ça implique une redéfinition des universités. Il faudrait des examens d’entrée. Il faut éviter ce que la gratuité entraîne.

Quand je me suis inscrit à la faculté de droit, à Paris, dans les années 50, j’ai payé 8 $. J’étais au doctorat, donc il y avait un peu moins de monde. En première année de licence, il y avait 4000 inscrits. La plus grande salle de la faculté de droit avait 200 places. Il y avait beaucoup de gens qui s’inscrivaient pour prendre une chance. Il y avait un abattage terrible dès la première année. À la fin, il restait 400 inscrits.

Aux HEC, quand j’étais professeur, on a ouvert les vannes. En première de bac, on avait 900 étudiants. Aux examens de décembre, il y avait un abattage terrible. Il en partait 300. Il y avait une foule de professeurs qui enseignaient à des coulés virtuels. Donc, s’il y a la gratuité, il y a un resserrement à faire. Il faut changer un peu la structure. L’Université de Montréal, en ouvrant toutes grandes ses portes, est rendue à 76 000 étudiants. C’est trois fois Harvard. Si on va vers la gratuité, il faudra repenser nos modèles d’université. Il faudrait notamment consolider les études longues, qui vont du baccalauréat au doctorat."

La réponse de Jacques Parizeau implique alors un contingentement des places disponibles dans les différentes facultés ce qui enlève, alors, un poids énorme sur les incidences financières.

Avoir eu connaissance, de cette question et réponse dans l'article du 12 février, aurait passablement changé mon opinion dans ma façon de percevoir une avenue de la gratuité scolaire et aurait changé ma perception, que m'a donnée cet article, de Jacques Parizeau lui-même. D'ailleurs, d'autres personnes ont peut-être eu le même genre de mauvaise perception; dans deux titres du journal, la même journée, nous retrouvons:

"Le pavé
12 février 2013 | Michel David | Québec", http://www.ledevoir.com/politique/quebec/370697/le-pave

"Gratuité scolaire: les ministres péquistes banalisent la sortie de Parizeau

Je ne suis pas certain que, si l'article avait été complet dès le départ,  on aurait titré un "Pavé" et pas certain, non plus, que les ministres péquistes auraient eu à banaliser la sortie de Jacques Parizeau.

Probablement devant la crédibilité et le sérieux de la réputation du journal Le Devoir, cet article du 12 février a été repris par beaucoup de médias sans que l'on ait vérifié si l'article était complet:






D'ailleurs, le 16 février, à la suite de la parution du texte complet, paraissait au journal Le Devoir, un article de Robert Dutrisac ajoute, justement, un bémol à cette gratuité scolaire qui ira jusqu'à faire grimacer Françoise David:

"De son côté, Jacques Parizeau a réussi, dans une entrevue accordée au Devoir, à donner de la crédibilité à l’idée de la gratuité. Les étudiants qui se battent pour la gratuité « ne sont pas hors-norme, ils ne sont pas hors d’ordre ». Mais l’ancien premier ministre a ajouté que la gratuité impliquerait « une redéfinition des universités » et l’imposition d’examens d’entrée. Au Journal de Québec, la présidente du réseau de l’Université du Québec, Sylvie Beauchamp, abonde dans le même sens. Dans un pays comme la Finlande, où l’université est gratuite, 90 000 candidats passent des examens d’entrée et le tiers seulement est admis. Sans compter que dans les grandes écoles françaises, par exemple, les étudiants issus des classes riches se paient une année de préparation et sont ainsi favorisés.

À la perspective d’un contingentement accru, Françoise David, tenante de la gratuité, grimace. Elle s’oppose aux examens d’admission et à un contingentement plus sévère qu’à l’heure actuelle." http://m.ledevoir.com/politique/quebec/371131/le-sommet-de-la-feuq

Questionnement en rapport à l'éthique appliquée à ce cas

Mon questionnement et mon malaise se situent là; avec l'impression de voir, alors, une manipulation de l'information en ayant retenu une partie déterminante de ce qu'avait dit Jacques Parizeau.

Ce qui a été publié la journée du 12 février était vrai, mais d'avoir décidé de retirer la réponse de cette question ("Existe-t-il certaines conditions, en matière de fonctionnement des universités, à considérer si l'on choisit la gratuité scolaire ?"), pénalisait la possibilité, pour le lecteur de se faire une opinion juste de la pensée de Jacques Parizeau.

Pour faire suite à l'introduction, je reprends la définition de l'éthique appliquée que j'utilise:

En rapport à une situation donnant lieu à un malaise, le travail que je consens à faire avec d'autres dans le monde, par le dialogue, afin de discerner et décider les actions en créant une ouverture au partage de sens pour toutes les personnes impliquées par ces actions.

J'essaie de vérifier si l'action décidée créait une ouverture au partage de sens pour toutes les personnes en cause. Alors je pose les questions suivantes:

Est-ce que, d'avoir décidé d'omettre la question "Existe-t-il certaines conditions, en matière de fonctionnement des universités, à considérer si on choisit la gratuité scolaire ?" dans l'article initial du 12 février, permettait un partage de sens pour les lecteurs, pour les ministres, pour Jacques Parizeau, pour l'ASSÉ, en fait, particulièrement, pour toutes les personnes qui ont pris position suite à l'article incomplet du 12 février?

Est-ce que les médias, qui ont repris cette nouvelle, auraient dû vérifier si l'article était complet avant de publier leurs opinions?


J'aimerais bien connaître votre opinion à ce sujet.


mardi 12 février 2013

DES FORMATIONS QUI FONT PEUR


En étant sur la page d'accueil du site LinkedIn, mon regard a été attiré par une publicité du site, à la droite de la page:



Ma curiosité ayant été émoustillée, j'ai cliqué sur le lien et je suis tombé sur une page du site "Coaching Québec" intitulé «Cours de Maître – L’Arme secrète de Milton Erickson». Continuant à lire je retiens quelques passages que je vous cite en blocs:

"Milton Erickson était reconnu pour son habileté à induire une transe hypnotique d’une telle façon que ses suggestions étaient difficiles à ne pas accepter. Tout était dans la façon dont il communiquait avec ses patients… mais personne n’avait la moindre idée de la façon dont il faisait."

"Quand vous savez comment utiliser la Série de Non-Conscience, personne ne peut vous résister… de sorte qu’il est beaucoup plus facile d’influencer les autres."

"Tout simplement parce que la Série de Non-Conscience permet de communiquer, de façon conversationnelle et, sans que personne ne s’en rende compte, directement au niveau déclencheur de l’esprit subconscient d’une personne… de sorte que, peu importe le niveau de résistance de cette personne, elle ne pourra pas s’empêcher de penser et d’agir comme vous le souhaitez… afin de l’amener dans son processus de changement…"

"TRÈS UTILE ET PUISSANTE DANS TOUS LES CONTEXTES RELATIONNELS ET D’INFLUENCE !
En management… En affaires… La Série de Non-Conscience permet de gérer les différents contextes beaucoup plus efficacement, beaucoup plus rapidement… en étant un excellent outil d’influence par une communication qui enraye la résistance… dans la mesure où l’on s’en sert avec intégrité…"

Alors, lorsque je reprends ma façon de comprendre et de voir l'éthique et l'éthique appliquée, j'avoue que je vis un grand malaise. Si je reprends la définition de l'éthique appliquée:

"En rapport à une situation donnant lieu à un malaise, le travail que je consens à faire avec d'autres dans le monde, par le dialogue, afin de discerner et décider les actions en créant une ouverture au partage de sens pour toutes les personnes impliquées par ces actions"

Je pose les questions suivantes:

Pensez-vous, que les personnes qui subiront cette influence, "peu importe le niveau de résistance de cette personne, elle ne pourra pas s’empêcher de penser et d’agir comme vous le souhaitez", trouveront du sens d'être influencées de cette façon?

Pensez-vous qu'en ajoutant "dans la mesure où l’on s’en sert avec intégrité", cela rend l'approche plus éthique?

Évidemment, ma façon de concevoir l'éthique et l'éthique appliquée m'est personnelle et ne représente pas LA VÉRITÉ. Elle me correspond. Merci s'il y a des personnes qui viennent la questionner et la déranger. Cela me permettra de grandir dans ma perception comme dans ma personne.

Peut-être que j'interprète mal le texte de ce site, mais lorsque je saisis que l'on veut donner des moyens pour contrôler les autres, de les réduire en objets pour les amener à "penser et d’agir comme vous le souhaitez", j'avoue que je suis horrifié.

Imaginez le type de gestionnaire qui utilise ce type de coaching, qui nous prend pour des objets, quelles sortes de relations sera vécues dans ce milieu de travail?

En plus, savez-vous que, vous et moi, nous contribuons financièrement à ce type de formation? Voici ce que nous retrouvons sur la page d'accueil Coaching Québec:

"Nous sommes un établissement d’enseignement reconnu par Revenu Québec et accrédité par Ressources Humaines et Développement social Canada, ce qui permet à nos étudiants de bénéficier du crédit d’impôt provincial et fédéral pour frais de scolarité, d’études et de manuels scolaires."


samedi 9 février 2013

PRISONNIER DES NORMES


Le présent pamphlet voudrait favoriser une réflexion sur les normes. Je me servirai, comme point d'ancrage, d'un reportage, du 5 février 2013, dans le cadre de l'émission 18 Heures de Radio-Canada: «des délais déraisonnables». Cela concernait le vécu d'un handicapé qui s'est fait construire une rampe d'accès à sa maison. Comme il vivait seul, il ne pouvait pas attendre le délai de deux ans du programme de la Société d'Habitation du Québec. Après avoir demandé un remboursement que pour les matériaux, il se voyait refusé d'être compensé car il n'avait pas suivi les démarches prévues selon les normes en vigueur à la Société d'Habitation du Québec.




Je voudrais d'abord féliciter Monsieur John MacKay, président-directeur général de la SHQ de son courage d'avoir accepté d'être interviewer. Il n'a pas eu la "langue de bois", il n'a pas essayé de se faufiler, il s'est présenté comme un président-directeur général de la SHQ déchiré, je dirais, entre son éthique personnelle (que cela le choque, en reconnaissant que les délais sont inacceptables) et son éthique organisationnelle (en étant l'administrateur de programmes gouvernementaux gérés par des normes prescrites).

Les normes

Pourquoi faisons-nous des normes, des règles, de lois? Pourquoi, par exemple y a-t-il une règle qui interdit de courir autour d'une piscine? Vous allez me répondre spontanément pour éviter que quelqu'un se blesse. Pourquoi faire une règle qui interdit de passer sur un feu rouge avec son véhicule? Encore là, vous allez me répondre facilement: pour éviter des accidents.

Deux remarques à partir de ces deux questions:
  • 1.      Lorsque des règles, des codes, des normes, des lois sont écrits, c'est dans le but de protéger des valeurs.
  • 2.      Que lorsque nous regardons le libellé de toutes ces règles, etc., nous ne retrouvons pas la valeur qui les a initiées, nous ne retrouvons pas dans le libellé la raison d'être de ces normes, etc.

La répercussion de ceci: les règles deviennent souveraines, c'est-à-dire, causes première en elles-mêmes avec, dans le temps, la résultante: on utilise des normes en oubliant la raison première qui les ont fait naître. Nous acquérons l'habitude d'appliquer ces règles parce qu'elles sont là, sans nous poser de questions. De plus, si nous décidons de ne pas appliquer une norme, nous risquons de nous faire taper sur les doigts. Nous sommes immergés dans une culture qui nous fait dire que nous vivons dans une «société de droits».

Je ne dis pas que je suis contre toutes ces règles, normes, etc.; au contraire, elles nous sont très utiles,  nécessaires et applicables dans la très grande majorité du temps mais, ce que nous avons à remettre en perspective, c'est qu'à chaque fois qu'une situation nous fait prendre conscience que le résultat est injuste ou qu'il n'a pas de sens, nous avons la responsabilité de retourner à l'essentiel, c'est-à-dire aux valeurs. Il ne faut pas oublier que ce qui est premier ce sont les valeurs qui nous ont fait écrire les différentes règles, normes, etc.

C'est ce que je reproche à l'expression «société de droits» j'aimerais mieux «société de valeurs» protégée par des règles, normes, etc. L'éthique appliquée peut devenir un moyen pour aider à harmoniser notre culture...


lundi 4 février 2013

DÉCISIONS LORS DE DILEMMES TRAGIQUES


Il arrive des situations où il nous apparait que, peu importe la décision, nous en ressortirons perdant. Je prendrai deux exemples et nous tenterons de regarder comment l'éthique appliquée et l'éthique organisationnelle, une de ses dérivées, pourront nous aider à discerner la voie à suivre.

Bien sûr, nous ne pourrons arriver à donner des solutions, car celles-ci seront différentes et elles appartiennent à chaque personne en position de décider.

Pour débuter, je reprendrai les deux définitions qui nous serviront d'assises dans notre réflexion:

Éthique appliquée: face à une problématique, le travail que je consens à faire avec d'autres, par le dialogue, afin de discerner et décider les actions conduisant à un partage de sens pour toutes les personnes impliquées par ces actions.

Éthique organisationnelle: comme la visée, par la délibération, que se donnent tous les membres d'une organisation, afin de définir les valeurs rassembleuses donnant sens pour toutes les personnes impliquées et reflétant la mission et visions de l'entreprise.

Nous pouvons constater la parenté de ces deux définitions en ce qu'elles conduisent, toutes les deux, vers un partage de sens pour toutes les personnes impliquées.

Si nous nous approchons du vocabulaire des organisations, chaque personne en lien avec une organisation (travailleurs, gestionnaires, actionnaires, clients), sera considérée comme une partie prenante (stakeholder). L'implication de cela: chaque personne, dans les situations qui la concernent, sera consultée. Cette implication lorsqu'elle est réalisée favorisera un climat de sécurité chez les personnes qui soutiendra, du même coup, leur autonomie, leur créativité, leur énergie, leur motivation, leur responsabilité, leur vie, leur appartenance permettant de demeurer sur la voie du sens autour des valeurs explicites de l'organisation.

Premier exemple:

Lorsqu'un «manager» doit décider, pour rentrer dans son budget, s'il licencie l'employé A, le meilleur de son équipe et qui affiche un très gros salaire, ou s'il se passe des services des employés B, C & D, qui ensemble représentent un salaire global équivalent à celui de A.[1]

Lorsque le discours de l'éthique organisationnelle est appliqué dans l'organisation, le «manager» en question n'a plus à supporter seul ce problème. Comme chaque personne affectée par une décision est une partie prenante de l'ensemble, elle sera consultée. Pourquoi, alors, ne pas rencontrer toutes les personnes concernées par le dilemme pour en parler? Il y aura, à ce moment, trois pistes de solution. Les deux premières: congédier A ou congédier B. C & D. La troisième viendra peut-être de la rencontre de toutes ces personnes avec une solution originale.

Une chose est certaine, vous sortirez gagnant de ce dilemme en ce sens que toutes les personnes visées se sentiront respectées, même celle(s) qui perdra(ont), car la décision fera sens pour tous. De plus, un gain sera fait sur le sentiment d'appartenance, le dilemme ayant été traité en relation avec des personnes et non avec des objets.

Deuxième exemple:

Bien que cela ne touche pas des décisions courantes, je trouve intéressant de l'aborder, car elle met en lumière les répercussions de notre définition de l'éthique appliquée. Pour vous aider à y réfléchir, je vais vous poser trois questions.

Une personne vient d'être arrêtée après qu'elle a caché une bombe de très grande puissance qui pourrait tuer des milliers de personnes. Avons-nous le droit moral de la torturer?

Si l'on pouvait questionner les personnes qui vont mourir si la bombe éclate, pensez-vous qu'elles trouveraient du sens à ce que la personne arrêtée soit torturée?

Pensez-vous que la personne qui a posé la bombe trouve du sens à ce qu'elle ne soit pas torturée?



[1] J'ai pris cet exemple sur le site des blogues d'Olivier Schmouker: "Comment résoudre un dilemme?" C'est à la suite de cet article que j'ai décidé d'écrire ce pamphlet.



vendredi 4 janvier 2013

LA PERVERSION DU RAPPORT AU TEMPS OU «CHRONITE»

Relisant mes bonnes vieilles notes de cours, je suis tombé sur un texte de Jean-François Malherbe et je ne peux et ne veux m'empêcher de le partager en ces temps où l'économie règne sur notre monde; je cite donc une partie de "textes à discuter" du cours Religion Éthique Spiritualité de l'automne FaTEP Université de Sherbrooke, 2006.

Bonne réflexion!


La doctrine du libéralisme économique prônant la libre entreprise, la libre concurrence et le libre jeu des initiatives individuelles s’abrite, on l’a vu, derrière l’illusion que «l’argent travaille», idéologie qui joue à l’égard de cette doctrine le rôle d’un mythe fondateur. Mais il est un autre mythe fondateur du libéralisme économique: que, selon la redoutable formule attribuée à Benjamin Franklin,  «le temps, c’est de l’argent»!
On retrouve ici, sous un autre aspect, la question du prêt à intérêt. En effet, si «le temps, c’est de l’argent», c’est certes parce qu’il nous est possible d’échanger notre temps de travail contre de l’argent mais aussi parce que le temps qui passe permet au capital de «fructifier» c’est-à-dire de «rapporter de l’intérêt». Nous savons maintenant que cette façon de raconter l’histoire n’est pas la seule possible. Aristote, Épicure et Marx ont contribué à construire un autre récit – et, par conséquent, une autre intelligibilité - : «les humains conjurent leur peur de la mort en tentant d’accumuler des richesses qu’ils volent à ceux qui les produisent». Le mythe selon lequel «le temps, c’est de l’argent» confirme cependant à sa manière le second récit puisqu’il fait également apparaître que, si «le temps, c’est de l’argent», c’est parce qu’il faut du temps pour «produire de la plus-value» et finalement pour «spolier le surtravail». Bref, l’affirmation que «le temps, c’est de l’argent» a pour corrélat critique l’affirmation que «le temps, c’est du surtravail».
Mais quelle est la conception du temps qui permet de telles affirmations? Pour tenter d’élucider la question du temps, je vais emprunter, une fois encore le chemin détourné de l’étymologie. De quels mots les anciens Grecs disposaient-ils pour signifier le temps? Le mot «chronos» vient immédiatement à l’esprit, certes. Mais il en est d’autres, plus ou moins inconnus. Les dictionnaires m’en ont proposé quatre en tout. Les voici: chronos, kairos, schôlè et diatribè. Ces mots signifient tous le temps. Chacun en souligne toutefois une texture particulière.
Chronos, le plus connu, renvoie au temps mesuré, au temps mesurable, au temps de la science et de la technique, au temps des «chronomètres», des horloges, des calendriers, des rendez-vous, des synchronisations et aussi au temps des intérêts bancaires. C’est le temps qui a permis d’envoyer des humains sur la lune. C’est le temps des programmations artistiques et de la gestion par objectifs. Bref, c’est le temps calculable, fractionnable, comptable. C’est la succession sans liens de moment égaux.
Kairos dénote une autre texture du temps, plus qualitative que quantitative. L’expression désigne le temps favorable à une action particulière: le temps des semailles, le temps de la récolte; le temps de féconder, le temps de porter, le temps de délivrer; le temps de travailler, le temps de se restaurer, le temps de se reposer. C’est le temps opportun. Le temps de se taire et le temps de parler. Le temps de recevoir et le temps de donner. Bref, c’est le temps de l’initiative risquée que l’on a de bonnes raisons d’espérer heureuse.
Schôlè, dont la plupart des langues européennes ont tiré «école» (school, scuola, escuela, Schule…) signifie pour les anciens Grecs un temps de «loisirs». C’est le temps de ne rien faire, c’est le temps d’être. C’est le temps de méditer, de laisser monter en nous ce qui était resté caché, secret. C’est le temps de la vérité vécue. C’est le temps de la disponibilité, de l’accueil de l’inattendu, du surprenant. Le mot latin correspondant est otium. Au Moyen Âge, on parlait de l’otium monasticum pour désigner ce temps pendant lequel les moines s’abandonnaient à la méditation. Le contraire d’otium, c’est negotium qui désigne le négoce. Le négociant est quelqu’un qui n’a pas de loisirs. Aujourd’hui encore, en grec, un «homme d’affaire» se dit ascholos: quelqu’un qui est privé de loisirs, quelqu’un pour qui «le temps, c’est de l’argent».
Diatribè se compose de la racine –trib- qui renvoie à l’«usure» (au sens mécanique du terme) et du préfixe «dia-» qui connote une nuance d’intégralité. La diatribè, c’est, pour un tapis, l’usure «à la corde». Il faut du temps pour user un tapis, pas à pas. Il faut du temps pour que le torrent transforme la roche en galet, goutte à goutte. Il faut du temps pour que peu à peu le pommier s’incline sous le vent. Le mot «diatribe» a été conservé en français et désigne «une critique amère, violente et, le plus souvent, injurieuse». Autrement dit: une «guerre d’usure». C’est le temps de l’entropie qui sculpte notre univers. C’est le temps du vieillissement. C’est le temps du travail de la mort dans la vie et de la vie dans la mort.
Évidemment, ces quatre textures du temps sont très différentes les unes des autres. Elles entretiennent néanmoins des rapports très étroits. L’usure peut se mesurer en années ou en milliers d’années. Il est des temps favorables à la programmation et d’autres à la méditation. Méditer prend du temps. Mais ce que fait apparaître leur diversité, c’est que l’une d’entre elles seulement peut avoir un lien avec l’argent: le temps «chronique». Les autres textures du temps ne se prêtent pas au calcul bancaire. Certes, on pourra dire que «méditer coûte cher» pour signifier que la méditation est du temps perdu pour l’accumulation du capital; mais cela signifie en vérité que la méditation échappe à l’argent. Certes, on tente de nous persuader d’utiliser nos temps libres à consommer des «loisirs», c’est-à-dire des biens et des services dont le commerce rapporte de l’argent. Mais précisément, ces loisirs lorsqu’ils sont mis en marché excluent presque toujours toute possibilité de devenir soi. Le «marketing» n’est-il pas destiné à nous faire acheter la même chose que tout le monde en nous faisant croire que nous sommes uniques… Et si le kairos comporte un risque, ce n’est pas un risque calculable, assurable, dont nous pourrions être protégés par le versement d’une prime. Il n’y a pas d’assurance qui puisse nous mettre à l’abri d’une déclaration d’amour mal venue ni du résultat éventuellement catastrophique d’élections que nous avions pourtant cru déclencher «au bon moment».
C’est dire que le dogme libéral selon lequel «le temps, c’est de l’argent» opère dans la texture du temps une excision radicale qui détache le temps comptable des autres formes du temps qu’il déclare «nulles et non avenues», «inutiles», voire «nuisibles». Mais cette coupure, qui isole le temps chronique de ses congénères, en fait un temps «diabolique». La rupture des liens qui attachaient le temps chronique aux temps «kairique», «scolaire» et «diatribique», à l’occasion favorable, à la méditation et à l’usure, le transforme en instrument de violence diabolique. Désormais, le déroulement du temps chronique servira d’argument pour augmenter les cadences de production, réduire les temps «morts», déjouer l’usure des outils de travail, favoriser la rivalité des concurrents, etc.
Notre culture est malade du temps, elle souffre de «chronite». Cela signifie qu’elle accorde un privilège indu au «chronos» et, du même coup, ne discerne plus les moments favorables au devenir-soi (kairos), se prive des ressources vivifiantes de la méditation (schôlè) et se voile son propre rapport à la mort (diatribè). Voilà pourquoi et comment l’individu contemporain se trouve solidement entravé lorsqu’il tente d’agir en «sujet économique» véritable: l’accès au temps de la méditation, qui lui apporterait la lucidité nécessaire à une action libre et rationnelle, lui est systématiquement volé.


jeudi 4 octobre 2012

POURQUOI INVESTIR DANS LE DIALOGUE


Les relations


Que nous parlions de relations professionnelles, amoureuses, amicales ou mondaines, nous nous retrouvons au cœur de rapports entre des personnes, c'est-à-dire entre différents sujets qui essaient de vivre et d'exprimer ce qu'ils ressentent, ce qu'ils croient, ce qu'ils discernent. L'acte de paroles devient alors, pour chaque allocutaire, le principal outil par excellence d'échange, permettant de mettre en jeu les perceptions de chacun.
Par des expériences personnelles et de ce que j'ai pu percevoir autour de moi, il m'est aisé d'affirmer, à la valeur d'un consensus, la difficulté d'avancer sur le chemin du dialogue. J'aimerais partager le fruit de ma réflexion sur ce sujet en, premièrement, dénonçant la subjectivité comme pouvant être son principal piège et, paradoxalement, sa principale richesse. Deuxièmement, j'aimerais proposer des conditions de possibilité du dialogue; je me servirai, à ce propos, de la matrice d'autonomie de Jean-François Malherbe.

La subjectivité


Commençons par essayer d'éclairer la notion de subjectivité
La subjectivité représente le caractère de ce qui concerne la personne en tant que siège de la pensée (sujet en tant que "Je"). Tout ce que le sujet voit, perçoit, juge, discerne, conclut est teinté de son identité, de ses limites, sa culture, ses expériences, ses émotions, ses sentiments, sa morale, etc. Il est, par conséquent le seul à penser comme il pense.
L'objectivité, son antonyme, représente la qualité de ce qui existe en dehors de l'esprit. Une donnée objective est alors sans émotion, logique, cartésienne. Si nous prenons une mesure de température, disons 20oC, cette donnée est fixe, immuable. Pourtant certaines personnes trouveront cette température chaude: pensons à un Esquimau; d'autres pourraient la trouver froide: pensons à des personnes vivant près de l'équateur. La donnée objective devient subjective du moment qu'elle est interprétée par un sujet.

Subjectivité comme principal obstacle au dialogue


La subjectivité devient le principal piège au dialogue lorsque le sujet croit avoir raison, croit avoir la vérité. C'est un piège fréquent en lequel toute personne peut facilement se faire prendre. Je peux m'être informé, avoir discerné, décidé à partir de mes valeurs de droiture, de justice et même d'amour; je peux conclure et, avec sincérité et intégrité, penser avoir raison. Ce que je peux oublier facilement c'est que tout mon cheminement de pensée est subjectif. Ce que je crois être vrai l'est… mais pour moi! C'est ma vérité, mais non La Vérité!
Les personnes, qui ont pris des années à se préparer pour jeter des avions sur le World Trade Center, ont donné leurs vies pour une cause qu'ils croyaient juste. Ils étaient certains d'avoir raison. Ils avaient fait un consensus sur leur vérité, mais pas nécessairement sur la Vérité. Oussama Ben Laden s'en était réjoui: « Dieu Tout-Puissant a frappé les États-Unis en leur point le plus vulnérable. Il a détruit leurs plus grands bâtiments. Louange à Dieu. Les États-Unis sont remplis de terreur du nord au sud et de l'est à l'ouest. Louange à Dieu.  Il a permis à un groupe de musulmans à l'avant-garde de l'Islam de détruire les États-Unis. Je lui demande de leur accorder le paradis ».[1]
Tentez l'expérience suivante avec un groupe de personnes: faites un paquet de 20 feuilles blanches composé de 10 feuilles d'un fabricant "A", sur le dessus et 10 feuilles d'un fabricant "B" sur le dessous. Présentez la face de ce paquet au groupe et demandez quelle en est la couleur; vous aurez la réponse "blanche". Un peu plus tard, présentez le même paquet, côté dessous et redemandez la couleur de ce paquet; vous aurez encore la réponse blanche. Présentez alors le paquet en faisant remarquer les deux faces du paquet et la nuance de couleur selon le fabricant. On peut demander, alors, quelles feuilles sont réellement blanches et, encore mieux, qu'est que la couleur blanche.
Dans cet exercice, les personnes partent avec une certitude, une vérité, que les feuilles sont blanches. Présenter la différence dans le blanc des, deux compagnies, vient ajouter un doute. Et en ajoutant qu'est-ce que la couleur blanche, les personnes sont emplies d'incertitudes.
Pour entrer en dialogue il est bon que chaque personne se rappelle qu'il est un être subjectif, c'est-à-dire un sujet reconnaissant être le seul à penser comme il pense, à être un individu limité et, par conséquent, incertain parce qu'il ne détient aucune vérité. Se présenter à un dialogue croyant que sa vérité est la Vérité, rend cet exercice impossible.

Subjectivité comme principale richesse au dialogue. 

Comme nous venons de le voir, l'être humain est un être subjectif, il est le seul à penser comme il pense et, c'est là sa richesse. Dans un groupe, il est intéressant que chacun puisse prendre la parole, car chaque personne est unique de par sa subjectivité, c'est à dire, la subtilité de ses aspirations, de ses intuitions, de sa créativité, de son discernement, de sa pensée, de ses nuances, de son jugement, etc. Il est, par conséquent, souhaitable d'inviter toutes les personnes à partager, même si sa réflexion lui semble semblable à un partage précédent. Au fil du partage, des distinctions apparaîtront apportant, alors, un apport essentiel à la recherche d'une construction de sens pouvant rejoindre chacun.
Le dialogue est un échange, par le langage, en vue d'une recherche conjointe (co-construction) de sens à partir d'un intérêt commun. Il est alors primordial de comprendre et d'assumer que, moi le premier, chacun des allocutaires ne possède aucune vérité. En même temps, il est crucial que chaque personne prenne part à cette recherche, qu'elle en soit une partie prenante; c'est la participation de chacun au dialogue qui enrichira sa conclusion.

Conditions de possibilité du dialogue


Le dialogue est un exercice périlleux, ardu et rarement réussi. À partir d'une situation préoccupante, comme nous l'avons déjà mentionné, les personnes participantes au dialogue tenteront de développer une co-construction de sens permettant de satisfaire tous les allocutaires.
Jean-François Malherbe, dans la présentation de sa matrice d'autonomie, met en lumière, justement, les conditions de possibilité du dialogue. Lorsqu'il parle d'autonomie, il plaide pour l'autonomie réciproque, il en arrivera même à dire que travailler à l'autonomie de l'"autre" favorisera la condition de possibilité de sa propre autonomie.

La matrice d'autonomie de Jean-François Malherbe


Jean-François Malherbe déclare que "l'action est le milieu de la parole et la parole est le ciment de l'action"[2]. La parole est donc au cœur de l'action et apporte conséquemment une transformation. C'est pour cela que, pour sa matrice, il place sur un axe les quatre causes en présence, nécessaires pour toutes transformations (selon Aristote) soient: la cause matérielle (la matière à transformer), la cause formelle (la nouvelle forme que nous voulons donnée), la cause efficiente (l'expertise nécessaire à la réussite) et la cause finale (la raison pour laquelle l'action est mis en œuvre).
De plus, comme l'être humain est un être de parole et que celle-ci, pour qu'elle soit porteuse dans son intégralité, doit être comprise selon ses trois dimensions: organique (une bouche pour parler, une oreille pour entendre), psychologique (une communication pour comprendre), symbolique (un code commun entre les individus: signes, vocabulaire, grammaire). La matrice comportera douze cases selon les quatre causes (en abscisse), selon Aristote et les trois dimensions de la parole (en ordonnée).
Dans un premier temps, je laisse Jean-François Malherbe présenter lui-même sa matrice de l'autonomie; dans un deuxième temps, je présenterai des modifications qui pourraient y être incluses; c'est qu'une recherche récente m'a permis de préciser la cause finale. J'y reviendrai, laissons, d'abord, Jean-François Malherbe nous présenter sa matrice d'autonomie.


Reconnaître
(Cause matérielle)
Respecter l'interdit de
(Cause formelle)
Assumer
(Cause efficiente)
Cultiver
(Cause finale)
La présence
L'homicide
Sa solitude
La solidarité
La différence
L'inceste
Sa finitude
La dignité
L'équivalence
Le mensonge
Son incertitude
La liberté

"Posons par hypothèse que le dialogue avec autrui est possible. Et demandons-nous, sous l'angle de chacune des quatre causes, quelles conditions devraient être remplies pour que tel soit effectivement le cas.
La première condition, c'est de reconnaitre la présence de l'autre. Comment, en effet, pourrait-on communiquer avec autrui s'il n'était pas présent ou rendu présent par une médiation quelconque? Ce n'est d'ailleurs que dans un sens très dérivé, et pour ainsi dire fictionnel, que je puis me parler à moi-même. Reconnaitre la présence d'autrui, c'est la condition organique sous l'angle de la cause matérielle.
Sous l'angle de la cause matérielle, la seconde condition de possibilité du dialogue est que l'on reconnaisse la différence d'autrui. En effet, si autrui et moi devions nous confondre, si l'un et l'autre nous devions être le même, comment pourrais-je répondre à son invitation au dialogue?
Enfin, toujours sous l'angle de la cause matérielle, la troisième condition de possibilité du dialogue est que l'un et l'autre nous reconnaissions notre équivalence. Le mot «équivalence» doit être entendu ici en son sens moral. II est bien clair que deux êtres humains ne sont jamais équivalents à tous les points de vue. Mais, du point de vue moral, il est nécessaire, pour que le dialogue soit possible, que les interlocuteurs se reconnaissent comme mutuellement équivalents, c'est-à-dire qu'ils se vouent mutuellement le même respect. Une autre façon d'exprimer la même condition serait de remarquer qu'il n'y a pas de véritable dialogue possible entre le maitre et l'esclave. Si je suis l'objet de l'autre, ou si l'autre est mon objet, comment pourrait-il y avoir entre nous un dialogue intersubjectif
La « matière» du dialogue entre les interlocuteurs consiste en leur présence, leur différence et leur équivalence mutuelles. Mais, en tant que telle, cette «matière» n'est pas structurée, elle reste amorphe, informe. C'est à la cause formelle qu'il appartient de structurer cette relation. On peut donc s'attendre à ce que la « forme» du dialogue se présente sous l'aspect négatif d'une série de trois interdits. La présence, la différence et l'équivalence des interlocuteurs ne seront soulignées que si l'on exclut ce qui les nierait.
Ainsi, tuer autrui serait une façon radicale de refuser sa présence. Sous l'aspect de la cause formelle, la première condition de possibilité du dialogue sera donc de respecter l'interdit de l'homicide.
D'autre part, commettre l'inceste serait une façon radicale de nier la différence entre autrui et soi. Je n'entends pas ici l'inceste au sens des enquêtes sociales, mais bien au sens éthique : négation de l'autre sujet comme sujet, son objectification, sa manipulation comme un simple objet à ma disposition. L'interdit de l'inceste, c'est l'interdit de considérer l'autre comme une partie de moi‑même, l'interdit de le phagocyter, l'interdit de le fondre en moi comme un simple prolongement de mon propre être, C'est aussi l'injonction de reconnaitre l'autre humain comme sujet (au moins potentiel) de sa propre vie et de le respecter en tant que tel. C'est l'interdiction de la relation fusionnelle qui ouvre le champ à la relation avec l'altérité. L'interdit ouvre l'espace de l'inter-dit, de la communication entre partenaires. Le respect de l'interdit de l'inceste est donc la seconde condition de possibilité du dialogue envisage sous l'angle de la cause formelle.
Mais encore: si je ne respectais pas l'interdit du mensonge, comment pourrais-je prétendre respecter l'équivalence morale sans laquelle les autres et moi ne pourrions jamais dialoguer? Comment en effet dialoguer vraiment avec quelqu'un que l'on méprise au point de lui mentir? On ne peut pas dialoguer avec quelqu'un à qui l'on ment. On peut dialoguer avec quelqu'un à qui l'on a menti mais à condition de le reconnaitre et de solliciter son pardon.
S'adonner au mensonge, c'est signifier au moins indirectement à l'autre sujet qu'il ne vaut pas la peine que je lui dise la vérité. Le mensonge, en définitive, c'est une manière décisive de nier l'équivalence morale des êtres humains.
A ce stade de l'argumentation, il est nécessaire de prévenir un possible malentendu. Le verbe « tuer », qui a été utilisé ci-dessus dans la présentation de l'interdit de 1'homicide, peut s'entendre dans un sens élargi. À mes yeux, la signification de ce verbe inclut d'autres actes que le meurtre ou l'assassinat proprement dits. Je considère que manipuler quelqu'un peut aboutir à le tuer, de même lui mentir sans arrêt ou refuser systématiquement de lui adresser la parole. […]
Mais la forme ne structurerait pas la matière si ne s'accomplissait un travail structurant. Vu sous l'angle de la cause efficiente, le dialogue apparait également comme impossible à moins que trois conditions ne soient réalisées.
Comment, en effet, l'interdit de 1'homicide pourrait-il structurer présence mutuelle des interlocuteurs si chacun d'eux n'assumait pas sa propre solitude? En effet, reconnaitre la présence de l'autre, respecter son existence, c'est aussi découvrir que je suis seul à être moi-même, que nul corps ne peut prendre la place du mien, que nul autre ne vit ma propre destinée, que, dans le dialogue, je suis seul à pouvoir dire « je» à bon droit en mon propre nom. La solitude ne désigne ni l'isolement ni l'esseulement mais cette caractéristique étrange de notre existence qui nous empêche de nous mettre vraiment à la place de 1'autre. Certes, nous sommes capables de sympathie, c'est-à-dire d'une sorte de proximité avec1'autre qui permet que ce qu'il vit retentisse en nous. Mais ce retentissement en nous de la souffrance ou du plaisir de l'autre est précisément un retentissement. Ce n'est en nous ni la souffrance ni le plaisir de 1'autre. Je ne puis ressentir le mal de dents de 1'autre; même si je puis sentir qu'il a mal aux dents. Je ne puis ressentir la délectation gourmande de 1'autre même si je puis ressentir que 1'autre se délecte. Je suis pour ainsi dire enfermé dans ma subjectivité, seul à être moi-même et à ressentir ce que je sens, à penser ce que je pense, à projeter ce que je projette. Je suis seul face à la mort. Quand l'autre meurt, je suis seul à rester: il n'est plus là, il disparaît. Et quand c'est moi qui mourrai, je serai seul à partir Dieu sait où en laissant 1'autre là sur la rive familière. Telle est la solitude.
Comment, ensuite, 1'interdit de l'inceste pourrait-il structurer la relation d'altérité si chacun des interlocuteurs n'assumait pas sa propre finitude? En effet, reconnaitre la différence d'autrui, c'est accepter qu'autrui soit ce que je ne suis pas, c'est-à-dire que je ne puisse pas être tout ce que je puis désirer être, Autrement dit, je ne pourrais pas reconnaitre la différence qui me distingue d'autrui si je n'acceptais pas ma contingence, mon enracinement particulier dans le monde, dans l'histoire et dans la culture.
La conscience des limites inhérentes à ma propre subjectivité me renvoie par contraste à l'idée de l'infini. Ne me heurté-je pas à chaque instant à de multiples résistances intérieures et extérieures qui me disposent à accueillir les surprises de la vie? Ne suis-je pas perpétuellement dépassé par des infinités que je ne puis arraisonner? Ma volonté de tout maitriser, de tout posséder, de tout comprendre se trouve à chaque instant tenue en échec par l'inépuisable, 1'insaisissabilité, la transcendance de ce qui échappe à mon emprise même la plus têtue.
Enfin, comment 1'interdit du mensonge viendrait-il structurer l'équivalence mutuelle des interlocuteurs si aucun d'eux n'assumait sa propre incertitude? En effet, si les images que je puis me faire d'autrui et de moi-même pouvaient être vraies, si je pouvais cerner autrui ou moi-même dans une certitude absolue, comment pourrais-je accepter qu'autrui et moi soyons équivalents? Ne prétendrais-je pas à la supériorité de mes images sur les siennes? Et ne partagerait-il pas pour sa propre part la certitude symétrique? Assumer sa propre incertitude, dans et par le dialogue avec autrui, c'est respecter 1'interdit des images (qui sont toujours fausses), c'est cultiver notre équivalence morale.
L'incertitude résulte également de la nécessité où je me trouve abimé de choisir. II me faut faire des choix, et même si je crois avoir de bonnes raisons de choisir ceci plutôt que cela, il me reste toujours des doutes. Ai-je fait le bon choix? Ou, même, plus radicalement: ai-je vraiment choisi moi-même ou dois-je reconnaitre que j'ai été choisi. Notons que 1'incertitude, contre tous les préjugés de notre culture utilitariste, n'est pas si négative: elle permet l'exercice de la liberté. Si nous n'étions pas incertains, nous ne serions pas libres.
C'est par le travail d'assomption de notre condition humaine (caractérisée par la solitude, la finitude et l'incertitude), que nous effectuons dans et par le dialogue avec autrui, que nous reconnaissons notre présence, notre différence et notre équivalence mutuelles en les structurant à 1'aide des interdits de 1'homicide, de 1'inceste et du mensonge. Mais on pourrait se demander dans quel but nous effectuons ensemble tout ce travail. Aristote déjà enseignait qu'on ne peut analyser l'action si l'on néglige sa cause finale. Le but de tout ce travail, qui est en définitive le seul et unique labeur qui façonne les êtres humains en être davantage autonomes, c'est précisèrent que les humains deviennent plus humains. Mais qu'est-ce à dire?
Devenir plus humain, c'est incarner dans le dialogue avec autrui les trois valeurs essentielles dont la poursuite constitue la clé du vrai dialogue.
En effet, comment le dialogue serait-il possible si les interlocuteurs ne se reconnaissaient pas solidaires 1'un de l'autre dans leur destinée, puisque c'est dans et par le dialogue que chacun advient à lui-même par l'ouverture de l'autre à ce qu'il en est de leur dialogue. La solidarité des interlocuteurs est la première condition de possibilité du dialogue envisage sous l'angle de la cause finale. […]
Ensuite, comment le dialogue serait-il possible si chacun des interlocuteurs ne cultivait la vertu de dignité, c'est-à-dire l'attitude intérieure qui consiste à se considérer soi-même avec justesse, en évitant de se prendre pour un roi ou de se rejeter soi-même comme un propre à rien. Dans la tradition chrétienne, cette forme de dignité s'est longtemps appelée humilité (notion à distinguer nettement de 1'humiliation à laquelle certaines croyances populaires l'assimilent volontiers). L'analogie des deux notions vaut la peine d'être évoquée. L'humilité consiste à reconnaitre qu'on n'est pas Dieu, certes, mais aussi et corrélativement d'ailleurs, qu'on n'est pas « rien ». L'humilité consiste à vivre son propre monde, sa propre culture et sa propre histoire comme un don des autres auquel on est appelé à contribuer mais que jamais on ne maitrisera absolument. […] Ces différentes caractéristiques sont également celle de la dignité. Les deux notions désignent la même attitude fondamentale dans deux cultures différentes: l'une est chrétienne, l'autre ressortit davantage de l'idéal de la Révolution française.
Enfin, le dialogue ne serait pas possible non plus si les interlocuteurs n'étaient pas libres. Comment, en effet, nous déprendrions-nous des images toujours fausses dans lesquelles nous nous emprisonnons si nous n'étions pas libres de nous laisser questionner par autrui ou de refuser sa mise en question à propos de nos «certitudes»? La liberté est la condition de possibilité du dialogue considéré sous l'angle de la cause finale au plan symbolique."[4]

Réflexion à des modifications possibles


Comme je le disais précédemment, suite à une recherche récente "le modèle Planetree, un exemple d'éthique organisationnelle" (2011), je m'interroge sur les éléments de la cause finale qu'a établis Jean-François Malherbe pour sa matrice d'autonomie. Dans un premier temps, si nous prenons les éléments de la cause efficiente (assumer sa solitude, sa finitude, son incertitude), nous retrouvons les conditions de possibilité d'une personne capable de parler en son propre nom, en assumant sa subjectivité; c'est-à-dire les conditions nécessaires pour un devenir-sujet. Dans un deuxième temps, si nous prenons les éléments de la cause finale qu'il a élaborés (cultiver la solidarité, la dignité, la liberté), nous retrouvons les conditions de possibilité d'un vivre-ensemble harmonieux. Faut-il alors comprendre que la cause finale c'est le vivre‑ensemble et que la cause efficiente c'est le devenir‑sujet? Je n'en suis pas si persuadé! Il ne faut pas oublier, comme il a été mentionné plus tôt, c'est la visée de la cause finale qui impulse la motivation nécessaire par laquelle la personne entreprendra les efforts nécessaires d'efficience en vue de la réussite de sa mise en œuvre. Nous pouvons alors nous poser la question suivante: est-ce que le désir d'un vivre‑ensemble peut devenir une motivation suffisante pour stimuler les personnes à travailler à leur devenir‑sujet? De cela, non plus, je ne suis pas si convaincu!
Pour aider à comprendre, comparons cela avec un orchestre. La qualité du son harmonieux de l'ensemble dépendra de la qualité d'expression de chaque musicien. Du même élan, nous savons très bien que la qualité de jeu de l'ensemble incitera et aidera les musiciens à peaufiner leurs arts. Cependant, la finalité ne se retrouve ni dans la qualité du jeu de chaque musicien ni dans le son harmonieux qui en ressort. La finalité se trouve dans l'expression de la symphonie selon l'inspiration (intersubjectivité) et l'interprétation du chef d'orchestre qui, alors, entrera en relation avec l'auditoire permettant aux personnes qui écoutent[5] (intersubjectivité) de vivre des émotions. La qualité du jeu de chaque musicien (le devenir sujet) de même que le son harmonieux de l'ensemble (le vivre ensemble) ne sont, en réalité, que des efficiences à acquérir en vue de la finalité qu'est la symphonie. C'est le désir de faire vivre la symphonie qui est la cause finale et, par le fait même, source de motivation autour de laquelle chaque musicien cisèlera son art (devenir‑sujet) en vue d'une expression harmonieuse de l'ensemble (vivre‑ensemble).
A la suite de cet exemple, nous pouvons faire l'hypothèse que le devenir-sujet et le vivre-ensemble sont deux efficiences nécessaires pour entrer en dialogue. Mais alors, pour la matrice d'autonomie, quelles devraient être les valeurs de la cause finale? Quelles devraient être les valeurs qui nous enthousiasmeraient suffisamment pour nous inviter sur les chemins du devenir-sujet et du vivre-ensemble?
Dans sa dimension organique, la cause finale pourrait être afin qu'advienne la vie. Que la vie vive! Qu'il y ait un courant de vie qui circule entre les personnes, où chacun puisse se sentir à l'aise, accueilli.
Dans sa dimension psychologique, la valeur recherchée pourrait être afin qu'advienne l'identité c'est-à-dire où, pour chaque personne participante, chaque affirmation de soi soit reconnue, respectée, désirée, appelée, essentielle.
Dans sa dimension symbolique, la valeur recherchée pourrait être afin qu'advienne l'amour, c'est-à-dire que puisse se vivre, entre les personnes, l'attachement, la tendresse, l'affection, la sympathie, la compassion, la bonté, la bienveillance l'empathie, la sollicitude.
En fait la cause finale appelle l'advenue de l'humain dans sa globalité: être vivant, être reconnu et vu selon son identité, aimer et être aimé. La manifestation d'un milieu de vie où chacun a sa place, où chacun est une partie prenante pour plus d'humanité. N'est-ce pas une motivation suffisante? Voici à quoi pourrait ressembler la matrice d'autonomie modifiée.

Figure 2 : Tableau de la matrice d'autonomie modifiée
Reconnaître

Respecter l'interdit de
Assumer
(Devenir-sujet)

Cultiver
(Vivre-ensemble)

Afin qu'advienne

(Cause matérielle)
(Cause formelle)
(Causes efficientes)
(Cause finale)
La présence
L'homicide
Sa solitude
La solidarité
La vie
La différence
L'inceste
Sa finitude
La dignité
L'identité
L'équivalence
Le mensonge
Son incertitude
La liberté
L'amour

C'est en travaillant sur le modèle Planetree, tel qu'appliqué au Centre de Réhabilitation de l'Estrie, que j'ai remarqué que cette organisation, à l'aide de ce modèle, catalysait un milieu de vie qui agit de la même façon que la symphonie sur l'orchestre, un milieu de vie qui devient source de motivation et de sens, en instaurant un climat de sécurité et de confiance suffisant qui autorise le perfectionnement du devenir sujet en chaque personne, tout en enrichissant le vivre ensemble. Le Centre de Réhabilitation de l'Estrie permet un milieu de vie qui reconnait chaque personne comme une partie prenante. Il crée, à ce moment, un climat qui favorise du même coup, leur autonomie, leur créativité, leur énergie, leur motivation, leur responsabilité, leur vie, permettant de demeurer sur la voie du sens autour de leur finalité spécifique : "soigner avec humanité".

Conclusion

 Toute cette réflexion me ramène à ma définition de l'éthique: "au cœur du désir inconscient de la personne et ontologique à elle, elle est la propension à désirer la vie bonne et à rechercher le Bien. Elle est perçue, dans la personne, sous les formes d'invitations, d'aspirations, d'intuitions, souvent en la médiation des relations intersubjectives à laquelle elle participe, vers la réalisation de l'Humanité". Le dialogue n'est pas une fin en-soi, mais le moyen par lequel cette propension, à désirer la vie bonne et à rechercher le Bien, se manifeste. Il devient, alors, l'outil privilégié pour aider l'homme à devenir humain (Homme) en étant capable de véritablement entrer en relation d'abord avec lui-même, avec les autres, avec la transcendance sur le chemin de l'humanité.
Les quêtes du pouvoir, de la richesse, des biens, des images de la réussite n'expriment-elles pas la pauvreté de nos relations. Qu'est-ce qui peut nous rendre capables de vivre des sentiments de plénitude, de réalisations, de sens, d'appartenances? Est-ce la possession de quelque chose ou de quelqu'un, ou bien la qualité des relations que je peux vivre avec des personnes? Qu'est-ce qui fait qu'une famille pauvre puisse être heureuse et qu'une famille riche puisse être malheureuse?



[1] Source : Article Attentats du 11 septembre 2001 de Wikipédia en français http://fr.wikipedia.org/wiki/Attentats_du_11_septembre 2001, 2011-04-13
[2] Malherbe, Jean-François, "Sujet de vie ou objet de soins? Introduction à la pratique éthique clinique", fides, Canada septembre 2007, 474p, page 49
[3] Ces quatre colonnes sont comme une œuvre d'art, répondant aux quatre causes premières chez Aristote.  Œuvre d'art qui détermine les conditions d'émergence d'un dialogue sans lesquelles celui-ci est dénaturé. Nous avons ajouté au tableau original le nom des quatre causes premières dans les colonnes correspondantes.
[4] Malherbe, Jean-François, "Sujet de vie ou objet de soins? Introduction à la pratique éthique clinique", fides, Canada septembre 2007, 474p, pages 52-58
[5] Nous disons bien, ici, "qui écoutent" et non "qui entendent". L'écoute se situe au lieu de la relation.